Jean Rouch, l’ethnologie et le cinéma

Dossier spécial au sein du numéro double 87 (1-2), 2017. 
Coordonné par le Journal des Africanistes et le Comité du Film Ethnographique.

A l’occasion du centenaire de la naissance de Jean Rouch, le Journal des Africanistes et le Comité du Film Ethnographique coordonnent un numéro double de la revue, dédié à l’héritage de son œuvre d’ethnologue et de cinéaste.

Nommé par le CNRS responsable de la « Recherche coopérative sur Programme n°11 » à sa création, en octobre 1962, Jean Rouch a mené une carrière d’ethnologue originale très tôt associée à la Société des africanistes et à sa revue, le Journal des Africanistes : il y publie, en 1945, son second article (« Cultes de génies chez les Songhay »). Au sein de ce programme, intitulé « Objet et méthodes d’une ethnosociologie comparée de l’Afrique noire », la cinématographie avait sa place. Et c’est avec cette structure qu’il organise à Paris un colloque sur la possession, qu’il préside avec Roger Bastide, en octobre 1968. L’équipe, qui comptait dès sa création 36 chercheurs, donnera naissance en 1974 au laboratoire « Systèmes de pensée en Afrique noire » (CNRS-EPHE) , où Jean Rouch continuera à développer ses travaux. Le lien très important de ce laboratoire à la Vème section (Sciences religieuses) de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, Jean Rouch l’a concrétisé dès 1963, lorsqu’il fonde avec Gilbert Rouget le Laboratoire Audio-visuel de la Vème section de l’EPHE.

Sa démarche singulière explora différentes manières de mener des recherches, de transmettre un savoir et des expériences ethnographiques, notamment à travers le cinéma. S’il est aujourd’hui davantage connu pour ses films que pour ses textes, ces derniers, majoritairement produits entre la fin des années 1940 et le milieu des années 1960, attestent de la variété et de la profondeur de ses expériences de terrain. A partir d’études ethnographiques en pays songhay et dogon, entre 1954 et 1962, Jean Rouch analysa différentes pratiques religieuses : cultes, sacrifices, rituels de possession. Mais ses travaux concernent également le champ de l’anthropologie urbaine (études menées sur la ville d’Abidjan), les questions migratoires, l’histoire des voyageurs et explorateurs du continent africain, ou encore l’ethnohistoire . Cette diversité thématique d’approche des sociétés témoigne pourtant, dans son ensemble, d’une constante mise à l’épreuve du travail ethnologique : comment être ethnologue en contexte colonial, comment explorer la modernité des sociétés africaines ? Ces interrogations, parallèles à celles de Michel Leiris (« L’ethnologiste devant le colonialisme », 1950 ) et de Georges Balandier (« La situation coloniale : approche théorique », 1951 ), Jean Rouch les pose autant à travers l’écriture de textes que par la réalisation de films. L’image est bien davantage qu’un exemple, un film bien plus qu’un carnet de terrain, c’est un mode d’interaction (« The Camera and Man », 1974 ). En d’autres termes, en cinéaste, Jean Rouch est aussi anthropologue, et il est le premier à tenter de définir le documentaire ethnographique (« Cinéma d’exploration et ethnographie », 1952 ). Dans les années 1950, par le biais d’une démarche expérimentale, il invente un cinéma documentaire explorant le rapport au réel (cinéma vérité, ethno-fiction), puis il est rejoint dans son travail et ses réflexions par d’autres cinéastes et anthropologues, parmi lesquels Edgar Morin (Chroniques d’un été, 1961) et les adeptes du cinéma direct (Mario Ruspoli, Michel Brault, Richard Leacock), entre autres. Suivront d’autres collaborations et expériences, qui interrogent toujours, à travers un regard anthropologique et esthétique particulier, le rapport au monde entretenu par l’ethnologue et les sociétés dont il raconte les histoires.

En entremêlant une ethnologie « classique » restituée par des publications scientifiques et des récits cinématographiques, Jean Rouch a proposé une anthropologie nourrie par différentes modalités de travail, lesquelles constituent autant de modalités d’interaction avec les sociétés étudiées. Les unes et les autres se complètent, s’entrelacent et forment un tout, une manière de faire de l’anthropologie, et l’influence de Rouch dans le domaine ethnologique comme dans le monde du cinéma témoigne de la richesse de cette approche.
C’est précisément cette approche particulière, mêlant performances et relations entre réel, imaginaire et fiction, dont nous souhaitons interroger l’héritage et les prolongements, au sein des travaux ethnologiques et cinématographiques actuels. L’anthropologie contemporaine explore actuellement de nouveaux médias de transmission (web-documentaire, bandes dessinées, installations artistiques…), s’enrichit de travaux interdisciplinaires, mais s’éloigne aussi d’une pratique et d’une connaissance de terrain au long cours. Dans ce contexte, reconsidérer et questionner l’héritage de Jean Rouch permettra, nous l’espérons, de réfléchir à la manière dont nous souhaitons aujourd’hui mener des recherches anthropologiques.

Les propositions de contribution, sous la forme d’un résumé de 1500 signes maximum (espaces non compris), sont à adresser d’ici le 30 avril 2016 à : luc.pecquet@cnrs.fr et feinberg@mnhn.fr.
Les contributions, sous forme d’articles de 60.000 signes (espaces compris), seront à envoyer avant le 30 novembre 2016.
Les propositions, comme les articles, peuvent être rédigés en français ou en anglais.
Les consignes de mise en forme et mise en page des articles seront envoyées aux auteurs dont les propositions ont pu être retenues.